Expressionnisme venant des montagnes - Kirchner, Bauknecht, Wiegers et le groupe Rot-Blau
Montagnes fascinantes et amitiés stimulantes
L'échange artistique et humain intense entre Ernst Ludwig Kirchner et un groupe d'artistes plus jeunes des années vingt est illustré pour la première fois dans une présentation d'envergure de plus de 160 œuvres - peintures, sculptures sur bois et travaux sur papier. Environ 55 travaux de Kirchner font pendant aux œuvres de Philipp Bauknecht, Jan Wiegers, Albert Müller, Hermann Scherer et Paul Camenisch.
Gravement malade, traumatisé par le service militaire et tourmenté par des angoisses existentielles, Ernst Ludwig Kirchner (1880-1923) se rendit en 1917 à Davos où il transcrivit l'univers montagnard grison dans le style expressionniste qu'il avait cultivé à Dresde et Berlin. Les montagnes devinrent la scène du renouveau physique et intellectuel et de la liberté regagnée.
En 1920, il se lia d'amitié avec l'artiste allemand Philipp Bauknecht (1884-1933) qui, atteint de tuberculose, résidait à Davos depuis 1910 et avait atteint une facture expressionniste originale aux forts accents colorés. Ces deux artistes étaient proches par leur style mais aussi par leur volonté d'immortaliser le paysage alpin et la vie des montagnards sur des toiles de dimensions monumentales. Le Néerlandais Jan Wiegers (1893-1959) est venu lui aussi de Groningen à Davos en 1920 pour une affection pulmonaire et tissa des liens d'amitié avec Kirchner dont il adapta la technique et le langage formel et en qui il trouva un condisciple. Après son retour en 1921, il transmit à ses amis du groupe d'artistes de Groningen « De Ploeg » les bases de l'expressionnisme de Kirchner. Au cours de plusieurs voyages à Davos en 1925/26, Wiegers renoua à plusieurs reprises le dialogue artistique avec Kirchner avec qui il conserva des liens d'amitié jusqu'à la mort de ce dernier.
À l'occasion de son exposition à la Kunsthalle de Bâle, Kirchner fit la connaissance en juin 1923 des jeunes artistes bâlois Hermann Scherer (1893-1927) et Albert Müller (1897-1926) qui lui rendirent par la suite de nombreuses visites à Davos pour d'assez longs séjours de travail. Ils fondèrent pendant la nuit de la Saint-Sylvestre 1924/25 avec Paul Camenisch (1893-1970) le groupe d'artistes « Rot-Blau », qui devait fournir, au cours de sa brève histoire tumultueuse, la contribution majeure à l'expressionnisme suisse. La rencontre avec Kirchner permit à Scherer et à Müller de trouver un langage formel riche de similitudes qui s'inspire incontestablement de l'art de leur mentor mais est toutefois marqué par des accents très personnels. C'est ainsi que Scherer, sculpteur sur pierre de formation, créa, à l'instigation de Kirchner, une série impressionnante de sculptures sur bois qui compte parmi les temps forts de l'exposition. Kirchner fut à son tour stimulé par sa collaboration avec les deux jeunes Suisses qui offrirent en particulier une issue à son isolation artistique dans son exil de Davos. Kirchner nourrissait l'espoir de voir naître une communauté artistique dont il se considérait lui-même comme le mentor et le pivot. Mais il craignait aussi d'être exploité et dépassé par ses « élèves». Il ne voulait pas que ses acquis formels soient copiés et qu'une partie de la gloire qui lui revenait puisse rejaillir sur ses condisciples. Ce fut en définitive Kirchner lui-même qui ne se satisfit pas d'une véritable communauté avec ses « élèves ». La mort précoce de Müller et de Scherer en 1926/ 27 interrompit brutalement leur amitié avec l'artiste Kirchner.
L'organisation thématique des œuvres exposées permet de mettre en lumière les similitudes mais aussi les différences dans la création de ces six artistes qui ont travaillé assez souvent côte à côte sur les mêmes motifs. Mis à part le paysage de Davos et la vie des montagnards, la peinture de nus et tout particulièrement de nus errant parmi les forêts et les gorges autour de la maison de Kirchner occupe une place centrale de l'exposition. S'ajoutent à cela de nombreux portraits, portraits individuels ou en groupe que les artistes firent les uns des autres et qui témoignent aujourd'hui encore des liens personnels les unissant. Le paysage du Mendrisiotto où les artistes du groupe « Rot-Blau » séjournaient régulièrement ou y avaient, comme Müller, élu domicile, constitue une autre thématique et en même temps un contrepoint au décor alpin.
L'exposition a été élaborée en collaboration avec le Musée de Groningen et le Musée des Beaux-Arts grison de Coire où elle sera présentée en suivant. Un catalogue, produit conjointement, et qui paraîtra aux éditions Scheidegger & Spiess mettra en lumière de nombreux aspects du dialogue entre Kirchner et ses amis artistes.